samedi 8 février 2014

C'est samedi, on lit ?


Au XVIIIe siècle vécut en France un homme qui compta parmi les personnages les plus géniaux et les plus abominables de cette époque qui pourtant ne manqua pas de génies abominables. C'est son histoire qu'il s'agit de raconter ici. Il s'appelait Jean-Baptiste Grenouille et si son nom, à la différence de ceux d'autres scélérats de génie comme par exemple Sade, Saint-Just, Fouché, Bonaparte, ect., est aujourd'hui tombé dans l'oubli, ce n'est assurément pas que Grenouille fût moins bouffi d'orgueil, moins ennemi de l'humanité, moins immoral, en un mot moins impie que ces malfaisants illustres, mais c'est que son génie et son unique ambition se bornèrent à un domaine qui ne laisse point de traces dans l'histoire : au royaume évanescent des odeurs.

Nous rencontrons Grenouille le jour de sa naissance, au détour d'un étal de poissonnier, le nez dans les déchets balancés à même le sol, poussant un cri qui le sauve de la mort. Confié à une nourrice puis placé dans un foyer d'orphelins, le jeune Jean-Baptiste grandit, telle une "tique solitaire [...] toute occupée, pendant des années, à flairer sur des lieues à la ronde le sang..." Coupé du monde, cet être différent se construit un univers à part. Son grand drame se révèle être son absence d'odeur corporelle, l'empêchant d'avoir sa propre identité et faisant de lui un phénomène que l'on fuit. A contrario, il possède un odorat ultra-développé, le nez le plus fin du monde, capable de décrire, classifier et retenir des milliers d'odeurs. 
Tour à tour apprenti tanneur, créateur de senteurs encensées, dans l'ombre d'un maître parfumeur, ermite puis bête de foire, il ne cessera de semer la mort et d'haïr le genre humain. Son ultime but étant de créer le parfum humain le plus parfait, ce petit individu hermétique au monde laissera place à un être malsain et cruel, ce génie abominable que Süskind dépeint dès la première page.

La plume de Süskind, d'une richesse incroyable, nous embarque dans un monde olfactif, des puanteurs insoutenables des faubourgs parisiens aux ateliers des plus grands parfumeurs. Quant au personnage, il est souvent aussi insoutenable que les ruelles pestilentielles décrites et ne peut pas laisser le lecteur indifférent.   
  

Patrick Süskind, Le parfum, Fayard, 1985.
Adapté au cinéma en 2006.

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